Quatre ans après une rencontre dont on retient surtout la polémique, Serbes et Suisses se retrouvent au Qatar pour se disputer un billet pour les huitièmes de finale de la Coupe du Monde.
Vendredi 22 juin 2018, Kaliningrad, deuxième journée du groupe E. Après avoir accroché le match nul face au Brésil (1-1), la Nati retrouvait la Serbie, tombeuse du Costa Rica (0-1), à l’occasion de son entrée dans la compétition.
Rapidement mis sur les bons rails grâce à une réalisation précoce d’Aleksandar Mitrović (1-0, 5e), les « Aigles » ont longtemps pensé tenir une importante victoire en vue de la qualification pour les huitièmes de finale. Mais des réalisations de Granit Xhaka (1-1, 52e) et de Xherdan Shaqiri (1-2, 90e) étaient venues rabattre les cartes dans cette poule aux airs très actuels.
Une célébration controversée
Garants des espoirs de qualification helvète, les deux joueurs d’origine kosovare s’étaient alors fendus d’une célébration qui avait fait le tour du monde. Pour fêter leur but respectif, Granit Xhaka (fils de Kosovars dont le père avait même été fait prisonnier politique dans l’ex-Yougoslavie) et Xherdan Shaqiri (né au Kosovo) avaient mimé l’aigle bicéphale présent sur le drapeau de l’Albanie – ethnie prédominante au Kosovo.
Un geste de soutien au pays balkanique dont l’indépendance – autoproclamée le 17 février 2008 – n’a jamais été reconnue par la Serbie.
Autant saluée que critiquée, cette prise de position venue se poser aux antipodes du mythe apolitique proclamé par la FIFA avait fait couler beaucoup d’encre. L’instance dirigeante du football mondial l’avait d’ailleurs condamné d’une amende de 10.000 francs (pour chacun des deux joueurs), quand la nationaliste Natalie Rickli avait regretté le geste des deux suisses, estimant qu’il était dommage que « les deux buts n’[aient] pas été marqués pour la Suisse, mais pour le Kosovo », et que les médias serbes décrivaient comme une « provocation honteuse ».
Les conséquences de l’extra-sportif sur le sportif
Au-delà de la polémique engendrée par ce geste, c’est également toute l’équipe suisse qui en avait pâti, comme l’expliquait Granit Xhaka en mai 2021 : « Il y a trois ans en Russie, nous avons perdu contre la Suède pour une raison évidente : nous étions morts sur le plan mental. Les polémiques suscitées par le match contre la Serbie avaient laissé trop de traces. Nous n’étions pas prêts le jour J. »
À l’époque, la Nati avait ensuite décroché un morne match nul face au Costa Rica (2-2), avant de finalement s’incliner face à la sélection scandinave en huitième de finale (0-1).
La volonté de séparer football et politique
C’est à la suite de cette fin d’aventure mouvementée que Association suisse de football (ASF) décidait, en 2019, de créer le poste de directeur des équipes nationales masculines, dont le but serait d’améliorer la communication au sein même de cette dernière et celle entretenue avec les médias.
Pierluigi Tami, l’homme désigné pour accomplir cette mission, avait, à cet effet, organisé, au printemps dernier, une rencontre entre les dirigeants des deux sélections. « Je pense que nous aborderons ce sujet avec les joueurs, mais au bon moment. Nous ne voulons plus faire les mêmes erreurs. Nous sommes là pour jouer au football, et rien d’autre. Nous ne voulons pas envoyer de messages politiques ou religieux », avait ainsi déclaré le Tessinois à la suite de cette dernière.
« J’irai voir chacun de ces joueurs [Xhaka, Shaqiri et Jashari, ndlr] en privé, pendant cinq minutes, et je leur dirais: “Oui, peut-être bien que tu seras provoqué, mais si c’est le cas, garde ton sang froid! Reste calme, reste focalisé sur le jeu, et rien que le jeu.” »
Bernard Challandes, ex-sélectionneur du Kosovo
Pour Bernard Challandes, ancien sélectionneur du Kosovo (2018-2021), il est important de conditionner les joueurs concernés, mais sans pour autant exagérer la situation. Surtout que la sélection serbe s’est déjà fendue d’une provocation sur le sujet au début de la Coupe du Monde, accrochant dans leur vestiaire une banderole représentant le territoire kosovare, paré des couleurs serbes, et frappé de l’inscription « Il n’y aura pas de reddition ».
Sur la pelouse du Stadium 974, c’est donc une rencontre sur fond de géopolitique qui s’annonce, entre deux sélections qui peuvent encore prétendre à disputer les huitièmes de finale de la compétition.