Février 2013, installé à l’hôtel Royal Continental de Naples qui surplombe le célèbre Castel dell’Ovo, Maradona rendait visite à la ville de Naples dont il a si brillement porté les couleurs pendant sept saisons. Les supporters des Partenopei i Ciucciarelli s’étaient rassemblés dans le quartier San Ferdinando pour témoigner une nouvelle fois leur reconnaissance à l’homme qui leur a offert les deux seuls scudetto de leur histoire (1987 et 1990). Beaucoup s’accordent à dire que c’est au Napoli que Maradona était au sommet de son art. Retour sur l’histoire d’amour entre la légende du football argentin et le peuple de Naples.
Le héros d’une ville et bien plus encore
Le fait que Maradona ait été le meilleur buteur et le meilleur joueur du Napoli et que le succès du club représente l’apogée de ses 90 ans d’histoire y est pour beaucoup dans l’amour que la ville de Naples témoigne pour Maradona. L’Argentin est en fait le symbole parfait de ce que signifie être napolitain.
Giuseppe Garibaldi a peut-être unifié l’Italie sur le plan politique en 1861, mais nombreux sont ceux qui affirment que, 155 ans plus tard, le pays n’est toujours pas unifié sur le plan culturel. Un profond clivage nord-sud, fondé en grande partie sur un fossé économique important entre les deux régions, a marqué l’Italie tout au long de ce siècle et demi.
L’inégalité est évidente dans le monde du calcio également. Lorsque Maradona arrive à Naples au cours de l’été 1984, aucun club du sud de l’Italie n’a jamais remporté le titre de champion. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce sont les équipes du triangle capitaliste du nord (Milan, Turin et Gênes) qui ont remporté 33 fois sur 39 le championnat de Serie A. A l’époque, Naples qui est de loin le plus grand club du sud de l’Italie n’a que deux Coppa Italia à son actif.
Le fait que Maradona soit transféré au club de Naples a été un choc. Le joueur de 23 ans venait de connaître deux saisons décevantes avec Barcelone, où il était souvent blessé et impliqué dans de nombreux conflits avec le président Josep Lluís Núñez, mais ses qualités étaient immenses et son talent évident. Le montant de son transfert à complètement bouleversé l’ordre naturel du football italien et de toute la société italienne. Un club du sud vient de faire signer l’une des plus grandes stars du football mondial.
Naples et Maradona : deux histoires qui se rassemblent
L’histoire de Maradona et de la ville de Naples se ressemblent sur beaucoup de points. Né en 1960 dans une famille pauvre de Buenos Aires, ville qui compte une forte proportion d’immigrants italiens, Maradona grandit à Villa Fiorito, un bidonville de la banlieue de la capitale argentine. Entassé dans une petite maison avec ses deux parents et ses quatre frères et sœurs, il a reçu une éducation difficile et les chances de réussite n’étaient pas au rendez-vous, mais le fait que Maradona ait réussi à tirer s’en sortir malgré une situation aussi modeste est un élément essentiel pour comprendre l’amour des Napolitains pour le n°10 argentin.
Le caractère récalcitrant et irrévérencieux de Maradona a également touché une corde sensible chez les habitants de Naples, qui se retrouvent en lui.
La drogue et la fête pour flétrir le génie
L’addiction à la cocaïne de Maradona commence quelques mois avant son transfert en Italie. A la fin des années 1980, sa dépendance et sa fréquentation régulière des fêtes commencent à affecter ses performances sur le terrain. Ottavio Bianchi et Alberto Bigon, les entraîneurs de Naples qui ont remporté le titre, ont souvent infligé des amendes à Maradona pour avoir manqué des séances d’entraînement et même des matchs. Dans les années 1990, une enquête a été ouverte sur une relation présumée entre l’attaquant et la Camorra, le syndicat du crime basé à Naples. Il est difficile d’imaginer que le joueur aurait reçu autant d’adoration des fans du Napoli s’il avait été un personnage plus droit, plus calme et plus obéissant.
Un maestro entouré d’une équipe de Naples redoutable
Il est important de souligner que les performances du Napoli à cette époque ne doivent pas être résumé à l’unique talent de Diego Maradona. L’équipe qui a remporté le scudetto en 1987 s’appuyait sur une défense solide composée de Giuseppe Bruscolotti, Moreno Ferrario, Alessandro Renica et du jeune Ciro Ferrara, tandis que Fernando De Napoli et Salvatore Bagni constituaient une base solide au milieu de terrain. Bien que Maradona soit le meilleur buteur cette saison-là avec 10 buts, Bruno Giordano (5) et Andrea Carnevale (8) ont également apporté des contributions essentielles aux victoires du club.
De même, en 1990, Maradona est aidé par les talents offensifs de Gianfranco Zola et du Brésilien Careca, tandis que Ferrara, Renica, De Napoli et Carnevale sont aussi des joueurs clés. Néanmoins, Maradona est sans aucun doute la star de l’équipe, et c’est lui qui deviendra plus tard le symbole de cette réussite.
Le symbole du triomphe Napolitain
Des fresques de Maradona ornent les bâtiments de la ville de Naples. Plus de 20 000 personnes ont écrit “Viva Maradona” sur les bulletins de vote des élections locales à la fin des années 1980. Le maillot numéro 10 du Napoli a été immédiatement retiré et certains ultras napolitains ont même soutenu l’Argentine lors de la demi-finale de la Coupe du monde 1990 contre l’Italie, un acte qui n’a jamais été pardonné par les fans des clubs du nord comme Milan, l’Inter et la Juventus.
Maradona a captivé la ville de Naples, non seulement par ses coups d’éclats et ses gestes techniques magiques, mais aussi par sa personnalité, son excentricité et sa sympathie. Les succès de Naples au cours de cette période de cinq ans – non seulement les deux championnats, mais aussi la Coppa Italia (1987), la Coupe de l’UEFA (1989) et la Supercoupe d’Italie (1990) – sont venus redorer le blason de Naples et tout le sud de l’Italie en reléguant au second plan les histoires de pauvreté, de mafia et de corruption liées à la ville. Ainsi le complexe d’infériorité des habitants du sud de l’Italie s’est vu (temporairement) soulagé.
Mais aussi une figure d’espoir pour le sud de l’Italie
Les jeunes du sud de l’Italie ont commencé à supporter le Napoli plutôt que la Juventus, n’ayant plus besoin de se tourner vers les clubs du nord du pays pour espérer des succès. Les Partenopei i Ciucciarelli représentent un vecteur de résistance redonnant à la région du sud un espoir de pouvoir réaliser ses rêves sans avoir à se déplacer vers le nord ou à émigrer vers les Amériques, comme une grande partie des Italiens du sud l’ont fait depuis l’unification.
Cette période était un temps de revanche sociale, Naples avait prouvé qu’elle pouvait rivaliser avec tout ce que Milan, Turin et Gênes pouvaient offrir, et l’hégémonie de l’Italie du Nord avait été brisée de la manière la plus satisfaisante qui soit.
Retour difficile en terre promise pour le Pibe de Oro
La querelle fiscale de Maradona continue de faire couler de l’ancre et empêche longtemps Maradona de revenir à Naples. Les autorités italiennes insistant sur le fait que l’argentin doit des millions d’euros à l’État, chose que Maradona a toujours réfuté fermement. Les biens de Maradona ne pouvant être saisis que lorsque celui-ci se trouve en Italie, ceci a pendant longtemps bloquer le retour du héros Diego Maradona auprès des fans Napolitains.
“Naples a été et sera toujours une seconde maison pour moi”, s’est exclamé Maradona lors de sa retraite. “C’est mon peuple et je l’aimerai toujours”. Malgré son décès le 25 novembre 2020, le numéro 10 de légende continue de faire battre le cœur de la ville italienne. Diego Maradona et Naples une histoire d’amour qui restera gravé à jamais.